Et puis après? Maintenant!

Depuis que je m'investis sans compter dans mon boulot, je me désinvesti de moi-même. Je suis ce qu'ils attendent, feeling, rires, duretés, calculs, mimétismes, bouffée d'oxygène.

Le dernier client de ce vendredi m'a achevé! Il se prend pour l'Orange Sanguine d'Orangina! "Pourquoi est-elle si méchante? - Parce queeeeee!!!!" Et c'est lui qui me l'explique!
Je n'ai plus la force de jouer un rôle, je suis plié en quatre sur son bureau, le book des offres ouvert sur ma dernière chance de lui vendre un besoin qu'il n'a pas encore réalisé.
On dirait qu'il a compris que je joue des rôles toute la journée, que je suis crevé de leurs conneries et que je n'ai pas envie de jouer au poker-menteur avec un fou bouffeur d'énergies, surtout un vendredi soir à 19h00.

J'abrège, c'est vendredi quoi! Et ça lui fait bien plaisir de m'entendre dire que c'est vendredi. Au moins, on est d'accord sur ça : il était temps.
"-Allez Monsieur Glinger, à bientôt, je vous envoie mes offres et vous m'envoyez vos commandes!"
-Au revoir oui! Passe ton chemin! dit-il en riant
-C'est bien ce que j'ai l'intention de faire, qu'est ce que vous croyez! Bonne année"
-Ben? Non! Vous repassez quand? Et n'oubliez pas, je vous passerai des commandes jointes!
-Oui, allez, bon week-end!" dis-je en riant.

Son joujou s'en va fatigué.Je ne suis pas un jeune chat, je ne joue pas sans baballe parfumée, je ne joue pas avec un jouet défait qui sent les autres!

Et je trace, je passe et m'en vais. Ils me fatiguent mais j'aime sentir que quoiqu'il arrive, je leur plais: c'est devenu une drogue de savoir que la commande va tomber, qu'ils vont me rappeller pour me parler. C'est un besoin que je compense par l'argent. Que j'espère compenser par l'argent.

J'arrive dans ma ville. 20h30. Même plus le courage d'aller boire l'apéro avec un ami. J'ai pas touché le sol de la semaine, entre les clients et les amis, j'ai un besoin fou de me retrouver seul. Un besoin fou de me rappeler qui je suis, de quoi j'aime rire et avec qui. Un besoin fou de ne rien calculer dans mon comportement, un besoin de faire le vide.
Un joint! Oh oui! Il me faut un bon vieux petard ! Mais j'ai perdu mes contacts de fumeurs.
Un arabe ouvert 24/24 au bout de ma rue. Ils en ont c'est sûr, mais bon, je me vois mal débarqué sur mon trente et un pour leur demander entre mon pain et mon café, un bout. Tant pis, je fonce, je m'enfous, j'ai BESOIN de me détendre.

"-Bonsoir...
- ..soir...hum...il me faudrait en plus...Comment dire...
- oui?
- Il n'y aurait pas moyen d'avoir un petit bout pour me dépanner?
- Heu, pas moi, mais je peux en trouver. Je peux pas vous présenter là..."Il me scrute de la tête au pied, me prend peut-être pour un flic ou un fou mais je m'enfous.
"- Oui évidemment, je ne passerai pas très bien auprès de vos contacts"
Il se met à rire et me dit de repasser une heure plus tard.

Je me suis repointé une heure plus tard, content de me dire que j'allais prendre une bouffée d'air libre. Un jeans un peu troué et des basquets noires pour pas trop être décallé. Le type me voit arriver, me fait un signe de tête approbateur. Il ne veut rien en échange. Je crois rêver, ce type ne me connaît pas mais il me rend service comme ça. Trop cool. je lui propose alors d'en fumer un avec moi.
Je me suis retrouvé hilare sur le devant de son shop, à regarder les mecs venir chercher leur dose d'alcool , jeunes, vieux, classes, dévariés...
Un alcoolique nous a pris la tête pour qu'on l'aide à faire un numéro de téléphone parce qu'il était tellement loin qu'il pouvait plus lire les chiffres. Prise de tête d'une demi heure. Le pote du patron lui a rendu aussi service et l'alcoolo est reparti heureux...
J'étais toujours mort de rire, je respirais, j'étais moi. Je voyais bien que j'étais en décalage mais qu'est ce que c'est bon d'être soi et surtout de se rendre compte que...
De se rendre compte que malgré ce que je croyais jusque là, je ne joue pas tant la comédie que ça. J'aime les gens, j'aime être surpris, j'aime découvrir des attitudes insoupsonnées et agréables.
Je suis fait de deux extrêmes et hier soir, j'ai vu en riant comme un fou, que j'ai réussi à joindre ces deux pôles, que je vais guérrir, que j'aime la vie, ma vie, mes élans, les leurs!

Je ne me suis pas attardé plus longtemps parce que j'avais toujours besoin de me retrouver tout seul. Je leur ai tapé dans le dos comme si je les connaissais depuis toujours et je suis parti.

Sur la route, je réfléchissais sérieusement en regardant mes pieds quand des jeunes en voiture se sont arrêtés pour me demander où se trouvait la gare.
Là, je me suis rendu compte qu'entre mes pensées et mes explications, il y avait un fossé...
" Vous avez déjà vu les arceaux?
- Oui
- Et bien quand vous les verrez, c'est par là bas. Donc quand vous les verrez, vous suivez cette vision...( j'étais hilare de dire " vision" ) et puis au pied de celle-ci, vous suivez la gare, désolé pour l'état.
- Merci beaucoup! " Ils étaient morts de rire...

Je suis rentré chez moi calmement, évitant les voitures par peur qu'elles me demandent leurs chemins. Une fois arrivé à la maison, je me suis assis dans le canapé en écoutant Bowie, j'ai pas eu le temps de me faire un autre petard que je me suis endormi.

Détente absolue...