Le parking est plein. On est déjà obligé de faire demi-tour pour trouver une place deux cent mètres plus loin. C’était un signe, on n’a pas su l’interpréter. Il faut dire qu’à ce moment de la soirée, on ignorait tous l’ennui qui allait nous être imposé. Petits êtres crédules se rendant au réveillon chez des gens qu’ils ne connaissent pas.
En sortant de la voiture on a vingt-huit ans de moyenne d’âge. A l’intérieur, ça grimpe d’une dizaine. On était au courant. Peut-être saurai-je ce soir au moins sortir mon épingle du jeu en me sociabilisant, en alignant quelques phrases réfléchies, voire teinter tout ça d’une dose d’humour. Evidemment, il n’en fut rien. Ce serait mal me connaître.
D’ores et déjà convaincu que je n’apprendrais rien, que je ne parlerai pas à d’autres que mes amis (quoi que, peut-être les banalités de bonne année, à voir), je m’oriente d’un pas leste vers la première table. Car il y a trois points stratégiques où sont disposés tous les plats. Là, pas de manque. Je sais que je passerais la soirée à manger comme si je n’étais pas chez moi et boire comme si je l’étais. L’évidence rassure. Elle est une sorte d’univers connu et chauffé où l’on s’installe lorsque l’humeur pèse de trop.
Jusque là finalement tout se passe comme je l’avais imaginé.
Je regarde les invités, ils portent à peu près tous des chemises (exception faite d’un type à l’air hagard, ailleurs, qui porte une polaire ouverte, couleur rouille, moutonneuse et démodée, je crois que mon père à la même), les femmes brillent de se trouver jeune. Globalement ils ne sont pas laids. C’est déjà ça.
Mais cette soirée ressemble à toutes les soirées.
Après avoir ingurgité plusieurs toasts de faux foie gras, de crème de saumon, des poignées d’amuse-gueules, une assiette de salade de haricots verts, et autres tranches de saumon frais, bon j’en passe, je me sers un verre de vin amplement mérité.
Mais là, je me dis « merde si tu bois tout ce que tu as à boire, après avoir mangé suffisamment pour attendre le dessert, t’auras plus rien à faire de la soirée ». Pas faux. Je me suis servi quand même.
Je trinque avec un ami tout en observant sur le mur blanc du couloir plusieurs affiches droit sorties d’un vieux numéro d’Okapi. Un vieil éléphant d’Afrique, des otaries, des gazelles. Papier légèrement jauni et ondulant. Il est bon de boire pour assister à ces découvertes l’œil amateur. Donc, on se marre en cachette, vu qu’on est chez des amis d’un ami. Et on se ressert. Geste qui sera Le geste de la soirée.
Un concert a lieu à même le salon, on était prévenus. Mais on ne savait pas à quoi s’attendre.
Après quelques effets larsen de la plus belle mise (mon oreille droite déjà douloureuse me donne l’impression de chialer du pus à l'intérieur de mon visage) les instruments se mettent en branle, les choristes se positionnent, crispées au début puis riantes, comme celles qu’on voit dans les soirées karaoké.
C’est pas que ce soit mauvais tout ça, me dis-je en spectateur prudent, n’osant encore me rendre compte du même coup, que la dernière planche de salut pour sauver la soirée semble être faite de bois mort. Alors, sombrons.
Une prise de conscience s’impose. D’où me vient cet ennui ? De mon inadaptation, ou de l’ambiance générale ? Ils ont quand même l’air de s’amuser les autres. Chose rassurante, je retourne près de mes amis qui s’avèrent dans le même état d’étonnement que moi quant au choix de notre soirée-réveillon.
Il est onze heures, je prends mon verre et sors. La soirée va être longue. Je regarde la route qui paraît me parler, dans le genre « suis-moi, prends-moi ». La tentation est forte. Je regarde mon gobelet presque vide et jette le reste de vin dans le bosquet. Ce geste signe là une révolte silencieuse. Merde ! A deux doigts de me tirer de là au plus vite et au plus loin, je réfléchis, ce qui me mène à une volonté d’ordre supérieur. Boire un verre encore.
A l’intérieur, je retombe dans le panneau de l’amitié. Je ne les laisserai pas en plan.
Et.
Bonne année ! Je n’ai eu le droit qu’à la bise de deux femmes et une poignée de main. J’ai évité le pire.
Pour la suite, la soirée s’étire consciencieusement dans une langueur lourde. Mon corps, lui, sombre dans une lenteur approchant l’apathie. Le poids de l’alcool me courbe les épaules. Un hoquet démentiel me vide de mes dernières forces. Je prends trois fois du dessert.
Et la suite se déroule dans un inintérêt notoire. Comme finalement la totalité de la soirée.
A trois heures on me dépose devant mon immeuble. J’ouvre la porte, me déshabille, me fout sous la couette et m’endort dans un souci d’oubli rapide.
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