Ecriture et positionnement néo-réaliste
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.


Le réalisme est l'arme absolue anti-rampante
 
AccueilAccueil  GalerieGalerie  RechercherRechercher  Dernières imagesDernières images  S'enregistrerS'enregistrer  Connexion  
Le Deal du moment : -55%
Coffret d’outils – STANLEY – ...
Voir le deal
21.99 €

 

 L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe

Aller en bas 
3 participants
AuteurMessage
omega-17
Administrateur véreux
omega-17


Masculin
Nombre de messages : 790
Age : 39
Localisation : MONS UNITED
Emploi : Méchant
Loisirs : Créer des forums néo-réalistes et autres divertissements du même genre

L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe Empty
MessageSujet: L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe   L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe EmptyVen 29 Déc - 21:49

Ca avait tout d’une erreur de casting.
Les Mercedes noires s’arrêtent rarement pour un faux hippie qui porte un sac de camping et un bob. Elles baissent encore plus rarement leurs vitres teintées en laissant apparaître des gros types en costards qui proposent des boulots à peu près honorables. Hébergement et nourriture compris en plus.
J’ai montré un intérêt moyen face à cet évènement, histoire de rester sur mes gardes. C’était un peu gros mais ça restait quand même dans les limites du croyable.
« Monte. »
Et je suis monté, ça pouvait toujours être intéressant.
En tout cas, c’est ce que je me suis dit.
Trois lascars d’un bon quintal chacun que j’estimais être d’origine roumaine étaient calés là-dedans. Pas beaucoup de conversation, les gaillards. Et quand ils sortaient une réplique audible, c’était de l’espagnol personnalisé. C’était bien louche mais je n’avais plus à charrier mes sacs et où que l’on aille, c’est toujours mieux en Mercedes, c’est bien connu.
Ces trois types qui avaient sûrement débuté leur cursus professionnel en tant qu’haltérophiles dans un bled sordide de Tchécoslovaquie centrale avaient peut-être l’intention de m’enculer dans une villa du coin qu’ils louaient tous les weekends dans ce but. C’était de l’ordre du possible.
Et mes possibilités étaient tout à fait diverses. C’est à dire floues.
Celui qui semblait être le boss dans ce tas de chair venu d’Europe de l’Est commença à me briefer sur le job. Le travail était somme toute assez simple : ramoner des cheminées et des chaudières à gaz au porte-à-porte. Le tout dans un contexte semi-légal. Parfait pour tester sa propension à l’escroquerie bienveillante en milieu urbain. Après avoir écouté son baratin de commercial véreux très rodé, j’étais à peu près certain que je ne ferai jamais carrière dans cette branche mais il paraît qu’il ne faut jamais dire jamais, alors…
Sur le coup de la villa, je ne m’étais pas trompé : Bienvenue à Miami, Etat de Floride, made in USA. En tant que ramoneur ou smicard ( même topo ), il aurait fallu en gros deux cents ans de labeur pour s’offrir sa baraque. Même les palmiers autour de la piscine étaient en pleine forme, ce qui est remarquable dès l’instant où l’on précise que cette aventure cocasse se déroule dans les environs de Nîmes en plein mois de Décembre.
Par contre, l’hébergement des employés était un peu moins dans le ton global : une belle rangée de caravanes et de bungalows verdâtres pour un effet roulotte garanti. J’allais vivre un peu dans les conditions de Molière à ses débuts. La comparaison s’arrête là. Non, Le Misanthrope, aussi. Mais pas plus loin.
Bref, je descends de la bagnole et je décide d’aller voir un peu à quoi cette zone sinistrée ressemble. Je tombe sur un jeune portugais tout frais sorti de la DASS qui regardait Apocalypse Now sur une télé qui avait l’air d’avoir fait le voyage depuis l’Oural, elle aussi. Marlon Brando était toujours aussi charismatique, voilà une chose qui n’avait pas changé, c’était plutôt rassurant.
« Salut. Tu vas voir, ici, c’est sympa, on est une bonne équipe.
- Mouais.
- Tu veux manger quelque chose ?
- Après. Tu fais quoi, ici ?
- Je suis le cuistot.
- Humm, OK. Et c’est bon ?
- Ben, on fait avec ce qu’on a.
- Parfait. »
Après avoir rapidement discuté avec les autres membres de « l’équipe », le constat retiré n’avait pas grand-chose d’étonnant : que des types en galère, les poches trouées, qui avaient été happés un jour par une Mercedes noire. Hagards et blasés. Un peu comme moi mais eux avaient accepté les règles du jeu. En contournant celles qui étaient un peu trop friables. L’ambiance était conviviale. Autant qu’elle puisse l’être quand on est entouré de paumés venus de tous les coins du pays. Mais des paumés sympathiques et faiblement agressifs même si certains s’efforçaient de démontrer le contraire.
Voilà le chef du gang des roulottes qui se ramenait, il fallait faire quelques paperasses pour recouvrir l’illégalité d’un petit drap d’officialisation. Elle se les pelait, l’illégalité. Surtout en cette saison.
« Bon, voilà ton certificat d’embauche, si t’as un problème avec les flics pendant que tu chines, tu montres ça.
- Humm.
- Quoiqu’il arrive, moi, j’existe pas. Tu dis que c’est ma femme qui dirige l’entreprise. Moi, je l’aide, c’est tout.
- Evidemment.
- Parle pas des caravanes. Si on te le demande, tu dis que tu es logé à l’hôtel.
- Mouais. A l’hôtel Terminus.
- Non. T’as oublié le nom de l’hôtel.
- OK.
- Si des clients te demandent une carte professionnelle, tu montres un prospectus de l’entreprise.
- Hum.
- T’es payé chaque semaine au nombre de ramonages. Neuf euros l’unité. En liquide. C’est plus pratique, pas de problème de délai d’encaissement des chèques comme ça.
- Bien sûr.
- Faudra te couper les cheveux.
- Hum.
- Tu vas voir : c’est une bonne équipe.
- Ouais.
- OK ?
- Compris.
- Tu peux y aller. »
Marlon Brando dans son village d’indigènes. Ca commençait à être drôle, cette histoire. Pourquoi pas, finalement…
En me dirigeant vers la caravane qui servait de réfectoire, j’ai croisé un rouquin déconnecté du réel qui se goinfrait de sandwiches à la mayonnaise. A l’intérieur, un type voûté, la trentaine, qui croquait dans un quignon de pain en levant sur moi un regard de désintérêt total. Je sors de cet endroit déprimant pour tomber dans un second lieu ténébreux : la caravane des chineurs, les spécialistes du ramonage-express facturé soixante-dix euros hors taxes chez toutes les grands-mères du sud-est du pays. D’après le cuistot, certains étaient des cracks. A l’instant où je débarquais, ils étaient hypnotisés par le journal de vingt heures et s’efforçaient de battre dans le même temps le record d’ingurgitation du pack de Kro. La valise de trente-six. J’étais tombé sur des challengers intéressants. J’ai conclu la journée en participant à la performance à hauteur de mon statut, c'est-à-dire celui d’un adversaire à ne pas prendre à la légère. Savoir s’intégrer est un art naturel chez l’individu moyennement adaptable. Efficace mais temporaire. D’où sa faillibilité.
Première nuit et première dislocation de la colonne vertébrale sur un lit spartiate. On a dit hébergement garanti, pas Novotel quatre étoiles. Faut suivre.
Mon colocataire de caravane…
( Mon Dieu, que c’est dramatique d’écrire « colocataire de caravane »… Et pourtant, c’est à peu près tout ce que l’on peut en dire. La réalité est farceuse, quand même. Bon, je reprends. )
Mon colocataire de caravane était là depuis plusieurs années, un prototype d’être humain flasque qui écoutait Moby en faisant les mots croisés du journal local, il était l’homme au quignon de pain de surcroît. Il me semble que c’est à ce moment-là que j’ai commencé à concevoir l’existence comme un sandwich à la mayonnaise avariée.
Le lendemain, réveil à cinq heures du mat. Le camion nous attendait pour partir sur le lieu de travail, à deux heures de route. Une troupe de loqueteux assimilables à des zombies dans un mauvais film d’épouvante s’est mise en branle, ponctuant le silence industriel et l’atmosphère grise de l’ennui par des onomatopées poussives très symptomatiques de l’homme qui va à l’abattoir puisqu’il n’y a que cette voie à prendre. Entre la mort par le vide ou par la corde, ils avaient choisi. Plutôt courageux de leur part. Enfin, désastreux, je veux dire.
Sur place, chacun s’est vu distribuer un secteur. Prospecter, sonner, monter et descendre des étages. Et espérer qu’une porte s’ouvre. Rien d’autre.
« Bonjour, je fais un passage dans l’immeuble pour le ramonage annuel des chaudières à gaz. Ca a été fait chez vous ? »
Au bout de la deuxième journée, la phrase sortait comme un spasme.
Le porte-à-porte ne consiste pas à éviter les refus qui sont pourtant légion et ont tendance à le rester, indépendamment de la compétence du prospecteur - un héritage culturel, en quelque sorte - mais à concrétiser en acte commercial la curiosité fatale de celui qui va ouvrir. Toc toc, le doigt sur le judas. Au deuxième tour de clef, le pied dans la porte. C’est cinquante pour cent du boulot. Avec un doigt et un pied. Avouez que l’investissement corporel est assez limité. Les gens imaginent peu l’utilité d’un doigt et d’un pied. Pour le reste, c’est la qualité de l’argumentaire au sein de la guerre psychologique qui fait la différence.
« Vous préférez payer vos soixante-dix billets ou prendre le risque que votre cuisine prenne feu au beau milieu de la nuit en immolant par la suite votre enfant qui dort dans la pièce d’à côté ? Je vous rappelle que la loi vous oblige à entretenir vos conduits une fois par an sans quoi votre assurance-habitation ne couvrira pas les frais en cas de sinistre. Donc, vous ne voulez pas le faire, vous êtes sûr …? »
Le doute est une sensation tout à fait représentable, il suffit d’observer les visages, la mutation est parfois surprenante. En cas de réticence butée, vous pouvez toujours tenter de sortir votre atout-maître : le bluff décontracté.
« Je viens de la part du syndic / de la mairie. » Au choix. Utile mais à double-tranchant. Quitte ou double. C’est un coup à vous faire enrhumer par les courants d’air sur cinq étages s’ils sont déjà passés. C’est aussi l’occasion de faire votre journée en une heure ou deux. Le bouche à oreille, ça marche dans les deux sens.
J’ai vu des voisines aigries et désœuvrées me doubler dans l’escalier pour avertir les autres locataires du danger imminent que je représentais, j’ai vu des collègues faire jusqu’à huit ramonages dans le même étage et ressortir déguisés en sénégalais pour aller se la couler douce à la terrasse du bistrot d’en face pour le restant de la journée, j’ai passé des après-midi entiers chez des papis qui carburaient au pastis et qui manquaient d’interlocuteurs pour leurs récits de grands combattants de l’existence, j’ai écouté une femme me raconter qu’une équipe concurrente était déjà passée et qu’ils avaient ramoné sa cheminée avec son propre aspirateur et autres divertissements inhérents à ce genre de profession.
Comme disait le vieux JP qui travaillait avec nous : « On est pas payés bien cher mais on rigole quand même. »
Et il était bien placé pour en parler puisqu’il frappait aux portes un joint au bec en chantonnant.
Ouais. Il y a eu de bons moments, c’est vrai.
Finalement, c’était un peu moins triste que je ne l’avais pensé de prime abord.
Un dimanche soir, après la biture de haut niveau qui était notre exutoire rituel, usés comme on l’était par le non-sens cyclique de notre mode de vie, j’ai pris le large.
Alimenter des regrets est d’une inutilité flagrante, c’est pour cela que j’évite en général.
Disons que j’ai laissé ma place au prochain type qui traînait par là avec ses sacs en grattant ses semelles sur le goudron froid et sale. J’imagine qu’une Mercedes s’est arrêtée à son niveau, qu’il a trouvé ça louche et que l’histoire a suivi son cours.
C’est pour lui que j’écris aujourd’hui.
Bienvenue à bord, mon gars.
Revenir en haut Aller en bas
https://anti-rampants.1fr1.net
Novocaïne
Picoleur régulier
Novocaïne


Nombre de messages : 105

L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe Empty
MessageSujet: Re: L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe   L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe EmptySam 30 Déc - 3:04

Ton histoire, vécue bien sûr, me fait vraiment penser aux "Aristo Chats" , un Walt Disney qui finit bien quoi! Cependant, quand on y reste plus longtemps, ça deviendrait plutôt "Germinal". Après, ce que tu en fais...
Revenir en haut Aller en bas
omega-17
Administrateur véreux
omega-17


Masculin
Nombre de messages : 790
Age : 39
Localisation : MONS UNITED
Emploi : Méchant
Loisirs : Créer des forums néo-réalistes et autres divertissements du même genre

L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe Empty
MessageSujet: Re: L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe   L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe EmptySam 30 Déc - 12:06

Rien d'Aristo, ça c'est sûr.

Et côté Germinal : ouais, léger, mais sans le couplet politique revendicatif.

Juste une tranche assez cocasse de l'humanité avec des éléments plutôt déroutants.

Il n'y a pas de happy end, seulement une end.
Il en faut toujours et rien n'est inventé, comme d'habitude.

C'est quand même navrant de devoir te le rappeller...
Revenir en haut Aller en bas
https://anti-rampants.1fr1.net
LCbeat
Buveur occasionnel



Masculin
Nombre de messages : 93
Age : 44
Localisation : Grenoble
Emploi : du temps
Loisirs : travailler au factice

L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe Empty
MessageSujet: Re: L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe   L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe EmptyDim 31 Déc - 17:38

Bukowski jeune a dû lui-même monter dans une mercedes noire

pour ce qui est du rajout narratif et romancier, cela surprend au début et puis après tout pourquoi pas ?

pourquoi omega ne raconterait-il pas des histoires ?
mouais
Revenir en haut Aller en bas
http://www.lcbeat.com
omega-17
Administrateur véreux
omega-17


Masculin
Nombre de messages : 790
Age : 39
Localisation : MONS UNITED
Emploi : Méchant
Loisirs : Créer des forums néo-réalistes et autres divertissements du même genre

L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe Empty
MessageSujet: Re: L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe   L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe EmptyDim 31 Déc - 19:56

Vous avez déjà abusé sur le Champomy ou quoi ?

Je n'ai jamais narré d'histoires ou très rarement et de façon détournée.

C'est de l'écriture-réalité à plus de 90%.

L'alcool est dangereux pour la santé, les jeunes.
Ils l'ont dit sur TF1.
Revenir en haut Aller en bas
https://anti-rampants.1fr1.net
LCbeat
Buveur occasionnel



Masculin
Nombre de messages : 93
Age : 44
Localisation : Grenoble
Emploi : du temps
Loisirs : travailler au factice

L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe Empty
MessageSujet: Re: L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe   L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe EmptyDim 31 Déc - 20:34

mêler dans un même commentaire TF1 et la réalité, hum concept intéressant
Revenir en haut Aller en bas
http://www.lcbeat.com
omega-17
Administrateur véreux
omega-17


Masculin
Nombre de messages : 790
Age : 39
Localisation : MONS UNITED
Emploi : Méchant
Loisirs : Créer des forums néo-réalistes et autres divertissements du même genre

L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe Empty
MessageSujet: Re: L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe   L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe EmptyDim 31 Déc - 23:34

Comme quoi, tout est possible. Même l'inconcevable.
Revenir en haut Aller en bas
https://anti-rampants.1fr1.net
Contenu sponsorisé





L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe Empty
MessageSujet: Re: L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe   L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe Empty

Revenir en haut Aller en bas
 
L’absence de scrupules rapporte soixante-dix euros hors taxe
Revenir en haut 
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Ecriture et positionnement néo-réaliste :: Forums anti-compassionnels :: Nouvelles sans concessions-
Sauter vers:  
Ne ratez plus aucun deal !
Abonnez-vous pour recevoir par notification une sélection des meilleurs deals chaque jour.
IgnorerAutoriser