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 Veuillez croire à l’expression des sentiments du Phénix - I

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omega-17
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Veuillez croire à l’expression des sentiments du Phénix - I Empty
MessageSujet: Veuillez croire à l’expression des sentiments du Phénix - I   Veuillez croire à l’expression des sentiments du Phénix - I EmptyMer 18 Juil - 16:48

Je m’étais octroyé un avatar plutôt ampoulé, je le concède gracieusement.
Toutefois, il me sembla adéquat après avoir passé en revue une douzaine de dénominations parmi lesquelles figuraient The Crow ( rapidement éliminé pour le discrédit qu’il trainait en rapport à la série télévisée et au film du même nom ), Black Hawk ( hors du coup car pas assez solennel et renvoyant à la célèbre intervention en Somalie qui n’avait rien à faire là-dedans ), Vulture ( pas assez accessible pour l’ensemble et toujours dans cette veine anglo-saxonne qui donne l’aspect surfait des pseudonymes de branleurs ), L’épervier ( surnom de flic diabétique pour rediffusion d’enquêtes balisées le dimanche sur la troisième chaîne ) et d’autres encore, moins puissants au cœur de la conscience collective et exagérément spécifiques.
Il me fallait en dénicher un qui soit dissuasif, empreint d’une angoissante simplicité et capable d’un large impact. J’avais bien pensé à Judas ou Prométhée mais on s’écartait du sujet avec des images lourdement légendaires et la référence biblique, quant à elle, n’était plus du tout dans le vent - depuis Seven, personne n’avait osé reprendre le flambeau - ; je me suis donc désintéressé de cet axe de recherche sur le champ.

Le Phénix.
Je n’avais tout simplement pas trouvé mieux ou plus accrocheur dans le genre animal volant conceptuellement esthétique, mystérieux pour ne pas dire mystique, succinct sur le papier et supérieur dans l’idée.
Langue de Molière, orthographe atypique et compacte - le modèle doté d’un ‘o’ était d’un intellectualisme réellement grossier -, évoquant le mythe, sérieux tout en conservant un potentiel de reconnaissance par le grand public : il arrivait en tête dans la majorité des critères préalablement établis.
Avec deux majuscules pour souligner l’importance du personnage évidemment, comment faire autrement quand le nom et le symbole associé représentent un paramètre si capital…
En la matière, il ne faut pas avoir peur d’en rajouter : à l’heure de l’apéro, Monsieur Tout le Monde ne se prive pas de plaisanter grassement à propos de ce genre de sobriquet et des affaires correspondantes sur un ton de baroudeur averti mais lorsque le phénomène s’en prend à sa petite famille, il devient tout de suite très réceptif et beaucoup plus concerné par la question.
A juste titre.

Ca n’arrive pas qu’aux autres.
Quel bel adage populaire…, pensais-je.
Son réalisme nonchalant me séduisait, comme il le fait encore aujourd’hui.

Sémantiquement, il arrive que l’on confonde mon ancien statut avec celui des adeptes de la Main Noire, ancienne technique d’intimidation de la Mafia qui consistait - avant d’être récupérée par les petites frappes de tout bord - à laisser en évidence des messages personnels sur le pare-brise, dans la boîte aux lettres ou devant la porte de la cible en des termes généralement explicites tels que :

Je t’ai vu aujourd’hui à la banque, vers neuf heures. Puis devant l’école de tes gosses en fin de journée. J’en ai eu l’occasion et j’aurais pu te tuer mais je ne l’ai pas fait, je verrai demain si je te laisse la vie ou non. La cadette fait ses huit ans la semaine prochaine, non ? Elle les fêtera avec maman, tant pis.

Cette méthodologie était efficace pour faire taire les gens trop renseignés, par contre elle se caractérisait par une absence totale de bénéfice concret, si ce n’était le décès de l’individu pour des raisons internes.
Et mon créneau était franchement plus vénal.

Pour le plus grand nombre peu embarrassé par l’exactitude linguistique, j’étais ce que l’on appelle vulgairement un corbeau et bien que cette distinction fût réductrice en regard de l’adresse que mon activité nécessitait, il imposait une méfiance teintée de respect à laquelle je n’étais pas indifférent.
Maître-chanteur aurait été plus juste, le corbeau se cantonnant aux menaces sans fondements et aux injures gratuites. Je n’avais rien contre le fait de bousculer le petit monde de mes contemporains néanmoins la gratuité caritative était une notion hautement incompatible avec la ligne de conduite que je m’étais fixé.
On met régulièrement en avant la lâcheté inhérente à ce style de comportement. Une injustice comme il y en a tant : s’il comportait si peu de risques et était à la portée du premier venu, la concurrence serait rude. Pourtant, on s’aperçoit sans peine que le milieu a été très ouvert de ce point de vue là, du moins jusqu’à présent.
De fait, le citoyen moyen entretient son stakhanovisme d’apparat par défaut de perspectives plus élaborées et non en vertu de son ridicule libre-arbitre comme il se plaît à le dire et à le penser avec une récurrence quasi pathologique.

Enfant, j’aspirais à devenir agent secret. Trahison et profils d’antihéros peuplaient les nuits qui voyaient mon lit impeccablement bordé, inviolé jusqu’à l’aube. Cette attraction pour l’anonymat, cette passion du camouflage ne m’ont jamais quitté depuis mes premiers romans d’espionnage et thrillers où pressions d’origine inconnue et flou identitaire menaient la danse.
Par la suite, mon parcours fut un exemple du conflit brutal qui peut exister quand théorie et pratique se confrontent chez n’importe quel individu s’étant découvert une ambition.

Des études de droit, quatre ans exactement et au bout desquels on m’accorda le passage en troisième année ; des fiançailles qui ne valaient même pas l’écrin en carton recouvert de duvet synthétique que je présentai avec le lyrisme calculé pour l’occasion à sa destinataire.
Je m’emmerdais déjà correctement à l’époque, je me cherchais et dans la plupart des cas au mauvais endroit. Toujours facile d’ironiser avec onze ans de recul mais enfin...
Le réflexe de repli consistant à instaurer une distance de sécurité entre ma petite personne désorientée et les amphithéâtres aux senteurs Clairefontaine fut accueilli sans ovation particulière ; mes proches interprétèrent mon geste comme une démarche anarchique, cette mésentente étant contrebalancée par le fait que je m’en foutais comme de mes premières bretelles.
La mouvance, à cet instant, était à l’abandon panoramique : d’abord Anne ( que je devais recroiser quelques révolutions plus tard malgré la sensation de dernière fois très marquée que j’avais nettement appréciée lors de nos adieux larmoyants à sens unique ), l’université, mes géniteurs puis ce fut le tour de mes connaissances, façon courtoise et pudique de signifier que j’ai eu les pires difficultés à me rendre compte de la nature de la perte en elle-même.

Le temps avait filé entre mes ultimes pages de Ken Follett et mon embauche au Champion du centre-ville. Des années qui ne méritent pas que je m’en souvienne ou devrais-je dire des années dont je ne saurais me souvenir. Etait-il concevable que je me sois assoupi durant cet espace-temps, afin de saisir calmement les tenants et aboutissants de la situation ou plus ordinairement pour prendre un moment de réflexion ? Possible.
Finalement, j’étais resté. Là où les montres suisses avançaient moins vite qu’ailleurs, où j’avais réussi à duper la société entière en lui faisant croire que je vivais, où je n’avais rien commencé.
Là à regarder tourner les saisons, à noter les permutations vestimentaires ( un coup t-shirt, un coup sous-pull, un coup anorak, un coup chemise : les gens sont pleins de ressources ), à revoir les vieux James Bond, à ne plus voir personne, à commander des pizzas le mercredi soir parce que c’était soirée Ligue des Champions, du Champion, Mon Champion, Ma Ligue Personnelle en diffusion exclusive sur mon poste.
A ranger les désodorisants dans le bon rayon. Et tournés en face des clients, avec l’étiquette rectangulaire de l’article qui ne dépassait pas des bords de la gaine en plastique mou située le long du rail. Je pouvais même prédire la pause de midi sans regarder l’heure : comme ça, à l’instinct. Les premières fois, je me suis surpris.
Je l’ignorais, au mieux je devais le supputer vaguement, mais j’étais malade, atteint de profonde dépression ; le psychiatre l’attesta formellement dès que j’eus terminé le relevé détaillé des coquilles présentes dans le mode d’emploi de mon micro-ondes sud-coréen. Il me conseilla de prendre du repos et me prescrit du Seropram en vue d’un traitement sur six mois ; maintenant tout était clair.
En sortant du cabinet, j’étais bien content.

Je ne me sentais pas plus éreinté que je ne l’avais été jusque là mais je pris quelques jours pour le principe. J’en profitai pour renouveler mon abonnement Télé Z, rajouter une catégorie ‘Grosses et nains’ à ma collection porno et remplir le frigo de pilons de poulet sauce barbecue. J’étais tranquille.
Mon appartement était à deux rues du Champion. En plus.
En plus de son infrastructure bulgare, du papier-peint ‘Everglades’ ( le fameux vert-gris qu’on ne voit jamais dans ‘Mode & Travaux’ ), du carrelage orange sur les murs de la cuisine, de la chasse d’eau avec la tirette en bois et des fientes de pigeons séchées sur les fenêtres pour rester dans le thème : ce lieu de vie était cependant agréable comme les choses le deviennent à force de les pratiquer, je regrettais juste l’odeur d’hospice qui ne s’en détachait jamais ; les Brise Touch & Fresh se vidaient sans que l’on observe des résultats satisfaisants. Alors j’ai arrêté de pulvériser de la lavande et du jasmin en faisant de grands gestes circulaires avec les bras et je me suis mis à la White Bellow, ce qui solutionna le problème en quelques jours.

Et puis j’avais des occupations.
Internet, des livres - il me restait encore le Follett où l’espion baise la fermière sur l’île de la Mer du Nord - et des jeux. J’étais d’un naturel très ludique, même au travail je mettais en place des petits pièges pour mes collègues : une caisse de shampoings remplacée par celle des saumons, des salades entières dans les roues du diable, ce genre de choses. Mais le meilleur jeu, celui qui demandait endurance, furtivité et contrôle de soi au point que je l’avais dénommé Le fil rouge, consistait à manger le plus de saucisses Herta à chaque aller-retour à la réserve. J’étais seul à participer à ce jeu mais les adversaires potentiels ne m’effrayaient pas.
Je jouais beaucoup et à tous les jeux en fait : les concours de magazines avec les mots-mystère, les appels à la télévision pour donner la bonne réponse à la question ‘Combien y a-t-il de couleurs à un feu rouge ?’, les tirages au sort divers, je faisais même des Quinté + : une fois, j’ai eu deux chevaux dans l’ordre, c’était Ponce Pilate et Octobre Rouge dans la quatrième, je m’en souviens très bien.
Mais pas de jeux à gratter. Non, ça c’était de l’arnaque pure alors sans moi. Je disposais de peu d’argent mais ce n’était pas une raison pour le dilapider dans des conneries.

En général, à partir de deux ou trois jours d’inactivité, on remarque une fatigue proportionnelle à tout ce que l’on ne fait pas. Monsieur Tout le Monde a du mal à comprendre ce phénomène.
Moi, j’en étais à mon douzième jour de Seropram-Vodka et j’étais très excité par la reprise des hostilités qui s’annonçait pour le lendemain. J’avais une raison, une excellente raison qui avait bénéficié d’une longue et minutieuse réflexion et s’était accaparée la majeure partie de mes connexions synaptiques.

Pendant mes vacances, je pensais à Michel.
Michel dit l’Inuit parce qu’il bossait aux surgelés : un compatriote de Championie. Vous savez, c’était le genre Bouvard mais de supermarché, la vanne graisseuse prête à bondir et le faciès d’une murène obèse ; avant il était carrossier mais ‘ça marchait plus à la fin, le gens font plus gaffe à rien, ni à leur bagnole ni à rien et c’est tout, ils veulent tringler des suédoises alors je vois pas pourquoi je ferai pas pareil, moi, eh ouais !’.
Je n’ai jamais vraiment saisi en quoi devenir magasinier pouvait permettre d’approcher plus facilement des femmes scandinaves sans qu’elles tentent de s’enfuir mais pour Michel, ça avait l’air très clair.
Un jour, il a pris un blâme parce que Cyril, le chef de rayon produits laitiers, s’était plaint à la direction de ses jurons graveleux qu’il distribuait en faisant le spectacle à lui tout seul devant les clients. Depuis, il y avait comme une tension qui s’était installée entre les fromages et le pays du froid.
A force de l’entendre parler de cul, j’ai appris des trucs extraordinaires sur la gente féminine, des trucs qui ne servent pas mais qu’on peut raconter à son tour pour un effet Eric Tabarly assuré.

Je pensais donc à tout ça en humiliant ma chaise grâce des petits ponts et des feintes de corps déroutantes. Voyant que ma victoire était sans appel, j’estimai qu’il était temps d’arrêter de me divertir avec cette pantoufle et de me comporter en adulte. J’allumai donc la télévision puisqu’il était vingt heures et qu’à vingt heures il faut regarder les informations quand on est un honnête homme. Lorsque je m’y contraignais, je choisissais France 3 pour les reportages sur l’artisanat, les feux de forêts et les témoignages de villageois. Je ne dérogeai pas à la règle.
Un tailleur Monoprix imitation Dior parlait d’un type qui occupait ses journées à écrire à ses amis avec un gros feutre et qui ne signait pas ses lettres.

"Alors sale pute, tu te fais bien troncher par le boulanger ?"

Alors là, les membres de la famille montraient leur consternation à la caméra et le journaliste concluait avec un sentencieux ‘Soupçons et rumeurs vont bon train ici à Tourbe-la-Chapelle, chacun y va de sa petite idée mais personne ne peut affirmer avec certitude quelle est la véritable l’identité du corbeau…‘

J’ai écouté les autres nouvelles du jour en pensant un peu plus à Michel, au rayon surgelés, aux saucisses Herta, à l’étiquette centrée dans la gaine en plastique, aux salades entières, aux désodorisants bien tournés, à la grosse avec les nains, à mes Quinté +, à Ken Follett, à moi, à mes possibilités…

Et vu comme ça, c’était cohérent.
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