Le flirt était peut-être devenu l’équivalent du test de recrutement en entreprise. Les flagorneurs étaient priés de passer leur chemin. Si ils s’y risquaient, c’était à leurs risques et périls et ils ne viendraient pas après signaler qu’on ne les avait pas prévenus.
Devant mon absence de possibilités, je me disais qu’après tout c’était déjà un signal. Je n’avais rien fait pour mériter cette épreuve et c’est souvent l’évidence que quelque chose est en train de se produire. Il faut dire aussi que j’avais mon pack de six dans mon sac à dos et que je ne voyais pas très bien comment j’allais bifurquer vers lui dans une souplesse dénuée de fracture. Prendre congé finirait par me réduire à n’être qu’un piètre compétiteur et ça je le savais déjà. Il me fallait plus pour progresser dans l’existence. Je lui prenais la main et je me penchais vers le visage de la beauté d’outre manche. C’était purement expérimental et la moindre baffe m’aurait laissé la possibilité de prendre un air d’épagneul breton incompris, je serais allé jusqu’à bafouiller une petite phrase de désespoir avant de quitter les lieux et de pouvoir commencer à descendre une première Leffe. Je ne prenais vraiment pas de risques.
Elzebeth se laissait faire. Elle ouvrait ses lèvres et fermait les yeux. C’est bizarre d’embrasser quelqu’un pour la première fois. Des fois, on s’aperçoit qu’on voulait pas en arriver jusque là et d’autres on se rend compte que c’est comme un distributeur d’oxygène. C’est peut-être la seule manière de savoir vraiment ce qu’on éprouve pour quelqu’un. Moi, j’avais vraiment besoin d’inhaler un bon coup. Ma vie était un trou de cave où ne filtrait que peu d’air respirable.
Nous nous sommes embrassés un petit quart d’heure à fixer nos yeux de si près qu’on ne voyait que des tissus humides et visqueux. C’était merveilleux, je pense qu’en changeant de position elle voyait mes poils de nez. Nos cerveaux ne prenaient pas la peine de considérer quoi que ce soit. Là ils y étaient. Ils arrêtaient de donner de la régulation à pleines mains.
Au bout d’un moment, nous étions fatigués et repus de s’embrasser. Nos langues n’avaient plus que le goût du frottement musculaire. J’avais caressé ses seins de façon sournoise et elle me prenait par la nuque comme si j’étais son prince charmé. Le tout avait donc fini par basculer dans le film érotique façon M6. Premier rendez-vous, tout le monde à oilpé en moins de quarante cinq minutes. Une petite affaire rondement menée. La vie de château pour le lombric existentiel que j’avais le loisir d’incarner à longueur d’année. Une performance. Oui une performance, j’en conviens.
Sourire béat, allongé sur le dos, lui caressant vaguement la poitrine en essuie glace.. A regarder un peu en biais la déco aquatique de l’appart. Je me suis demandé si nous avions une chance de partager ce lieu pour quelque chose qui ressemblât à une vie commune dans le futur. C’était vraiment bien rangé. Serais-je assez apprécié pour venir y répandre mon bordel ? Un des mystères fascinants de l’existence et de ce que l’avenir nous réserve à nous les minuscules. Elle m’a demandé de la laisser cinq minutes pour aller à la salle de bains. J’ai regardé mon sac à dos. Il y avait un pack de Leffe dedans. Mais je n’en voulais plus d’un coup. Je voulais juste laisser mon cœur et mon cerveau chercher à se parler, à négocier, à trouver une solution. Ca palabrait rudement. Moi, je leur laissai tout le champ.
Elzebeth est revenue, remaquillée et jolie comme un cœur. Presque comme si je devais recommencer tout l’assaut pour la séduire à nouveau. Je n’aimais pas ça mais bon je n’avais pas mon mot à dire et je ne l’aurai jamais, les filles sont des filles.
« Maxime. Il faut que je te dise. Je n’aurai pas du coucher avec toi, j’ai un copain.
- Ah.
Ca réglait pas mal mon problème de cohabitation avec l’ordre et l’esthétique régnant en ce lieu.
- Je suis désolée. Tu peux comprendre. Tu ne m’en veux pas ?
- Oui. Je te comprends.
- Excuse moi. Tu es un garçon super charmant. Je ne sais pas j’avais envie de te connaître mieux.
- Bon ben là, je crois que tu as toutes les informations.
- Ne le prends pas mal. Et si tu peux ne pas me rappeler à la limite, ce serait mieux par rapport à mon fiancé.
Tiens il avait grimpé en hiérarchie le garçon.
- D’accord. Elsebeth. Je me tiendrais à distance.
Un petit silence géné est venu se positionner. J’avais envie de la serrer dans mes bras pour lui dire « Je t’aime ». « Bordel, tu vois pas que je vis seul comme un pauvre con . Tu vois pas que tu es vraiment la dernière des putes ». Je lui ai adressé un petit sourire en récupérant mon sac à dos.
- Bon ben. J’y vais. Excuse moi pour le dérangement.
Je suis passé par mille états dans l’escalier.
J’avais l’impression que je n’avais pas été réellement mystifié. C’était tout à fait acceptable comme situation à notre époque, le One Shot. Je le savais déjà avant de commencer à ouvrir la porte de mon appartement. Fallait surtout pas oublier de glisser Téflon. Le pack de Leffe pouvait grandement améliorer les effets de contrôle des dérapages. Ou au moins en atténuer les conséquences. Nous avons fait la route ensemble lui et moi jusqu’à plus stable.