Le seul problème de la vague sur laquelle François Bayrou surfe actuellement, c’est qu’elle est l’image même de son programme : vague. Large dans ses intentions, elle s’amaigrit quand il propose. Se briser est sa vocation. Mais l’écume éclabousse sondages et citoyens, laissant le goût du large dans les bouches… C’est là bien l’essentiel.
Du moins, quand on est pro-Bayrou. Parce que si on se veut de gauche et renseigné, et qu’on cherche donc dans son programme des propositions dites de gauches, ne serait-ce que pour comprendre d’où vient l’enthousiasme qu’il y suscite, alors la déception est malheureusement seule au rendez-vous. En effet, cherchons bien. A part cette promesse sans noms de former son gouvernement des personnalités intègres et travailleuses, de gauche comme de droite, ne dédaignant pas concilier leurs facultés avec celles de leurs ennemis héréditaires, qu’y a-t-il donc de gauche dans son programme ? Réponse : rien.
Puisque je suis athée, je n’aurais pas de mal à avouer ici ma mauvaise foi. François Bayrou promet certes de revaloriser les retraites à hauteur de 90% du SMIC d’ici la fin du quinquennat. Mais pour l’emploi, pour le pouvoir d’achat ? Sur ces points là, il annonce une augmentation de la majoration sur les heures supplémentaires à 35%, tout en supprimant les charges sociales correspondantes. De plus, exonérations de charges pour deux nouvelles embauches. Vous cherchiez une approche sociale ? Si la nuance avec Sarkozy est légère –encouragement aux heures supplémentaires et à l’embauche par des exonérations sociales, le cadeau à l’entreprise est lui évident.
Revenons donc sur ce qui, chez cet homme du centre, rassemble ou s’y essaie. Car François voudrait rassembler. Sa technique, en la matière, consiste à ouvrir la porte à tout le monde… mais sans jamais nommer personne ! Qui oserait encore démentir la seule fin tactique de cette démarche ? Et qui oserait qualifier l’homme qui l’applique de courageux ? L’absence de nom rend peut-être sa promesse raisonnable, et je le lui reconnais volontiers, mais je remarque que c’est au détriment de sa valeur. Cette promesse est vague… Je ne reviendrais pas dessus ! Mais, monsieur Bayrou, maintenant que vous avez pris un peu de hauteur, un peu de courage, voyons, donnez-nous du concret ! Des noms !
Et qu’aurait-il à perdre à se préciser ? L’honnêteté, la transparence et la clairvoyance (supposée) de ses choix ne sauraient que lui être positives. Ou alors toutes ces vertus sont négatives et je ne comprends plus rien. Sauf que dans toute tactique, rien n’est jamais vraiment laissé au hasard. (Et je faisais semblant d’être étonné.) S’il ne nomme personne, c’est parce que chaque personne nommée entraînerait pour lui plus de fuyards que de nouveaux venus. Il le sait bien. Je nomme à droite, la gauche s’enfuit. Et vice versa. C’est l’effet pervers quand on joue sur tous les fronts…
Alors voter pour lui, c’est voter pour personne. Voter pour sa personne, c’est voter contre les deux autres. La France aime voter contre et ne fait que ça depuis 81. La seule intelligence de Bayrou, c’est de l’avoir cerné. Pour conduire un pays, gageons que ce ne soit pas suffisant.