J’eus l’occasion de lire ceci, je ne sais plus où ni quand :
« J’avais vécu vingt-quatre années.
Vingt-quatre années durant lesquelles je n’avais jamais rencontré une raison intrinsèquement valable de patienter jusqu’à la suivante, si ce n’est celle de d’observer perpétuellement les évènements se dérouler dans une insupportable prévisibilité - raison qui à mes yeux, brillait par sa critique insuffisance. Mon existence était décevante, je le savais, et j’avais le sentiment profond que mon cas n’était pas isolé bien que cela n’eut évidemment aucun effet consolateur. L’aspect banalement comptable de la chose avait depuis longtemps confirmé mes soupçons qui n’en étaient, à proprement parler, largement plus. En effet, concernant le taux de suicide dans le pays, l’INSEE publiait, années après années, des chiffres toujours plus révélateurs de la renonciation qui affectait une partie de la population, la partie la moins apte à la croyance en l’avenir de l’Homme probablement. Près de treize milles suicides avérés soit un ratio d’un pour cinq milles habitants. Avec plus de trente-cinq décès volontaires par jour, la France tenait dans le monde une position aussi indéniablement préoccupante que le découragement croissant de l’individu occidental moyen semblait irréversible. Commençant par s’attaquer aux strates les plus sensibles au vide des continuités, cette tendance au refus sans appel de toute absurdité supplémentaire au sein de vies que l’espérance avait désertées depuis déjà longtemps occupait un espace constamment déployé et conquérant dans l’esprit péniblement métaphysique de ceux qui y réservaient une part de leurs réflexions.
Mon bilan, donc, n’était pas seulement le fruit d’une vie individualiste par nécessité, déprimante par réaction à la force des choses et approchant de sa phase terminale par évidence. Non, il y avait bien - et j’en avais toujours été convaincu - un élan légitime et irrémédiable qui provoquait quotidiennement une averse de corps et de douleur glaciale sous les trains, sur le bitume à proximité des immeubles, au bout des lustres tintant doucement suite au renversement d’une chaise, dans les baignoires emplies d’un rouge sombre et un peu poisseux, par des plaquettes de douze aux couleurs laiteuses ou par la déflagration sèche entendue parfois, en début de soirée, à l’intérieur des maisons de campagne où personne ne vivait plus vraiment.
Il était, de manière objective, bref et définitif : l’existence ne m’avait offert que trop peu de joies pour l’infinité de souffrances qu’elle s’était enorgueillie de m’infliger et je décidai logiquement, après des années d’errements en quête d’éléments concordant avec des aspirations plutôt simples, de ne plus lui donner l’occasion de s’en réjouir, tant j’étais fatigué d’être prêt à tout donner sans avoir jamais rien reçu d’acceptable en retour.
Mon choix se porta sur l’option ferroviaire qui malgré sa brutalité, offrait les mêmes caractéristiques que celles de mes dernières conclusions. Je sélectionnai le Thalys en provenance de Bruxelles pour son horaire matinal mais raisonnable ainsi qu’en vertu de sa surprenante ponctualité ; deux bons kilomètres avant son passage en gare de Mons, j’allai à sa rencontre.
Définitivement donc, et dans des circonstances tout à fait brèves, je m’éteignis. »